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21 mars 2012

4 Litres 12, le Finale / acte I (suite)

Après notre passage à l'Actée, nous avons reçu ce texte, d'un élève de terminale de Longwy...


Les monstres

Errance de deux femmes, déboussolées entre une forêt de cordes et un parterre de loques, jusqu’à la découverte d’un lieu insoupçonné, inquiétant et mystérieux, point de convergence entre la réalité et l’imaginaire, un lieu qui pourrait révéler bien des secrets, de ceux que l’on pensait déjà connaître.

 

Originairement, le mot « apocalypse » renvoie à l’idée d’une révélation. La révélation d’une nouvelle existence, ou peut-être, d’une autre alternative à la fin des Temps. L’inestimable optimisme chrétien, fourvoyant la pensée du commun, en exhibant, malheureusement, un semblant d’idéal pour les âmes, en lieu et place d’une pure destruction, élimination de l’Homme, de Dieu lui-même et de son Œuvre. Apocalypse 12 raconte l’Histoire et les histoires. Celle que Perec évoquait avec sa grande « H » et puis les autres, les histoires de l’enfance, contes, légendes et morales bien pensantes. Loin des pensées dogmatiques, la pièce conçue par Michel Massé offre un éclairage superbe sur l’Humanité dans son ensemble, celle qui oscille comme un funambule sur le fil de l’existence aiguisé comme un rasoir. Au travers des figures connues ou méconnues, réelles ou fantasmées, Apocalypse 12 va plus loin, jusqu’à aller chercher sous la peau, ce monstre, abrité en chacun de nous.

La pièce commence par un passage. Deux femmes d’un âge certain, vêtues de noir, l’une vicieuse et glaçante, l’autre frêle et demeurée. Deux émules de l’Alice de Lewis Caroll, froides et vieillies, qui vont  entreprendre une étrange traversée du miroir. Car en effet, c’est en s’engouffrant par la fente d’un mur qu’elles débouchent sur cet endroit bizarre, où les cordes poussent comme des arbres et où les vêtements jonchent le sol, comme autant de « dépouilles » laissées à l’abandon. Un cabinet lugubre, dont les carcasses de tissu qui pendent au plafond rappellent curieusement les cadavres moisis des femmes de Barbe-Bleue. Un petit théâtre des horreurs donc, tapissé de miroirs déformants et focalisé en son centre par une « terrasse »  monolithique qui semble révulser nos deux héroïnes. Mais bientôt, voilà que le maître des lieux fait son apparition, sorte de vampire underground, jouisseur et cruel – il faut le voir piétiner avec délectation les haillons éparpillés et sourire au son des cris invisibles de la « terrasse ». – accompagné d’un valet taiseux au visage grimacé par la perversité.  Avec la combinaison de ce quartet insolite, le spectacle va pouvoir commencer. Les deux femmes sont expressément conviées à déguster des mets pour le moins singuliers –  Adolf en papillote ou Robespierre braisé sous guillotine ! – convoquant les plus grands personnages de l’Histoire et des contes traditionnels.  Ainsi il va falloir « manger le passé » pour pouvoir amplement « dévoré l’avenir ». Toute la subtilité d’Apocalypse 12 réside précisément dans cette constance à étaler les similitudes de la réalité et de la fiction, en confrontant leur fonds commun de violence et de cruauté. Deux univers qui se côtoient et se répondent, dans un assemblage de paroles amphigouriques, volontairement destinées à perdre le spectateur. Usant d’improvisation et de dialogues superposés les uns aux autres, la mise en scène de Michel Massé se veut complexe en ce qui concerne la direction des comédiens. Le résultat donne un effet pour le moins original, plein de bavardages muets, où la parole reflète le vide des personnages dénués de toute psychologie. Le langage devient obsolète, purement formel, quasi mécanique, voire répétitif. Massé montre plus qu’il ne dit. En ce sens, les comédiens, dans leurs actions, renforcent la critique. A l’image des deux femmes en noir, farouchement agrippées à leur sac à main et profondément avide de billets de banque. A travers ce duo, réduit à un culte matérialiste, Massé fustige la classe dominante, prétentieuse et superficielle, celle qui veut dîner sur la « terasse » qui trône au milieu de la scène. C’est cette même « terrasse », véritable clef de voûte de la pièce, qui va incarner la Vérité et disséminer l’assemblage de la grande Histoire et des petites histoires qui occupait jusque là une grande partie du spectacle pour faire éclore la réalité qui dérange. Cette terrasse où sont enfermés ceux que l’on appelle « les pauvres », ceux que nos deux bourgeoises vont s’empresser de torturer avec une satisfaction jubilatoire, ceux que l’on ne montre pas mais dont on peut percevoir les cris et les plaintes. Enfermés comme des insectes dans une boîte, objets des fantasmes les plus sordides, ceux que l’on dépouille jusqu’à la nudité et que l’on aime regarder copuler sans amour. Des Hommes qui ont perdu toute Humanité, destinés à mourir dans ce trou immonde. La terrasse d’Apocalypse 12 a quelque chose des charniers de la Saint-Barthélemy et des cloaques où les nazis jetaient les juifs, dans le sang et la merde ; c’est la révélation de toute la monstruosité de l’homme, l’ « apocalypse » du titre.

Finalement, on peut dire que la pièce qui nous a été proposée par la compagnie 4 litres 12 est un exutoire de la noirceur par la noirceur. A ce titre, il faut préciser que l’humour y joue beaucoup, absurde et très noir, parfois même surréaliste, mais toujours savamment dosé. La quintessence, c’est l’audace iconoclaste de cette pièce qui place le spectateur face à lui-même et l’invite à se regarder dans le miroir pour voir ce qui s’y cache. Sur la scène, les miroirs déforment les visages, c’est bien la preuve de notre imperfection, de nos défauts. Michel Massé nous pousse à nous regarder en face, à observer ces monstres qui nous sont si familiers pour pouvoir, peut-être, aller de l’avant.  En effet, n’y aurait-il pas un risque ? Nietzsche ne disait-il pas lui-même : « Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. » A cette question, Apocalypse 12 se garde bien d’apporter une réponse… 

 

Joao Da Rocha (Term L  Lycée Alfred Mézières Longwy)


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